Lors d’un déplacement TGV, je reçois alors un SMS de la part de la SNCF à l’arrivée de la gare : “Nous arrivons en gare. Avez-vous pensé à prendre toutes vos affaires ?”
Quelques secondes plus tard, c’est la voix mélodieuse de la SNCF qui répète la même information. En moins d’une minute, nous venons de recevoir deux rappels : en trente secondes, nous sommes passés du rappel bienveillant à l’infantilisation de l’usager.
Une dictature de la bienveillance ?
Après avoir peiné pour faire comprendre qu’il était normal de placer l’usager au centre de ses services, la démarche design semble prendre racine dans de nombreuses entreprises privées et publiques : la pratique du design thinking, de l’UX design ou encore du design politique et de service sont des pratiques moins obscures pour les non-designers.
Nous sommes passés à un autre paradigme : celui du user-friendly a tout va. Victime de son succès — et devenu usage commun dans le monde des bienheureuses startups, l’adaptation envers l’usager est devenue intempestive, sous gouverne de paraître proche, amical : rendons attrayant le message par l’usage des smileys, rendons impactant le message par l’emploi du tutoiement, sans parler du vocabulaire “jeune”, comme si bien parler n’était qu’une affaire de vieux…
D’ailleurs, que veut dire bienveillance ? En langage des oiseaux, on entend bien-veiller : la bienveillance, c’est veiller à ne pas heurter la sensibilité de l’autre. Mais “veiller n’est pas prendre la place d’autrui, ni envahir sa pensée ou sa psyché, le réduisant alors qu’à un simple objet de soin”.
Je me souviens d’un atelier avec les MAS (Maison d’Accueil Spécialisée). Nous avions eu la chance d’entendre le témoignage de résidents qui ont exprimé leurs difficultés à gagner en autonomie ou à préserver leur intimité tout simplement parce que les aidants étaient trop présents par excès de bienveillance.
Quand l’adaptation devient la condescendance
Responsabiliser autrui revient à lui faire prendre conscience de ses actes (ou de l’absence de ses actes). C’est là où il y a confusion entre faciliter et infantiliser : car comment faire grandir l’autre si on se met toujours au même niveau que lui ? Si la bienveillance permet l’écoute réceptive et la compréhension de l’autre, n’oublions pas que l’exigence et l’effort sont également nécessaires pour amener vers un changement. Prenons l’exemple d’un enfant : si on ne fait que lui rendre la vie simple, il deviendra un enfant inconscient des responsabilités qui lui incombe. En somme, guider l’autre ne revient pas à faire à sa place, mais lui montrer le chemin vers l’autonomie.
Peut-on éduquer à travers le design ?
Dès lors, la question de comment rendre responsable l’utilisateur devient centrale : quels seraient les “gestes design” qui pourraient rendre l’utilisateur – ou pour être plus factuel, le citoyen, responsable ? En design, on passe souvent par des “trucs” pour manipuler l’utilisateur à changer de comportement. Le nudge en est une démonstration parfaite : pensé au départ comme un “coup de pouce”, il est rapidement devenu un effet de mode et utilisé à tout va.
Est-il vraiment efficace sur le long terme ? « Ne s’intéresser qu’au nudge pour aborder les problèmes de santé publique est trop restrictif » souligne Coralie Chevallier, chercheuse INSERM en sciences cognitives et comportementales à l’École normale supérieure à Paris. A force de tomber dans le truc et astuce, ne sommes-nous pas passé dans l’infantilisation plutôt que la responsabilisation ?
Le design, vecteur de prise de conscience ?
Et si au lieu de faciliter l’accès, on passait à l’extrême inverse, à savoir : choquer. Cela suffirait-il à responsabiliser ?
Nul doute que des campagnes chocs comme celles que l’on peut voir sur les paquets de cigarettes, ou encore par des associations comme L214 ou les Femens ont permis de faire prendre conscience d’une certaine réalité, mais combien de personnes ont changé de cap et adopté de nouvelles habitudes ? Car passé l’émotion, que fait-on ? On recouvre les paquets avec un emballage neutre supplémentaire ou nous avons arrêté de les voir : notre œil a cessé de prêter attention à ce qu’il regarde, tout simplement. Autrement dit le choc ne permet pas la mise en action d’un changement : il engendre nécessairement une désorientation et vers où se diriger quand on ne sait pas où aller ?
Finalement, serait-ce par la contrainte que nos comportement pourraient changer ? Encourager les personnes à jeter leurs papiers dans les poubelles ou bien éduquer les citoyens à ne pas les jeter n’importe comment ? Le Japon, par exemple, a supprimé depuis de nombreuses années les distributeurs de serviettes en papier pour les mains dans les toilettes ce qui n’a pas empêché la propreté des lavabos. Et si vous êtes déjà allé(e) à Londres, vous avez sans doute erré longtemps avant de trouver une poubelle dans les rues de la City et pourtant constaté la propreté des rues…
Et si ça n’était pas l’outil mais notre posture ?
Ne nous trompons pas de combat en cherchant activement à trouver “la” solution qui révolutionnera les comportements : l’outil n’est pas un prolongement de l’homme mais un moyen pour nous aider à effectuer quelque chose.
Ne confondons donc pas les moyens et les finalités : si le design peut aider à faire prendre conscience, le véritable choix appartient à l’homme !
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